Une lecture de 10 minutes qui pourrait vous épargner des heures de distraction sur les réseaux sociaux.

Quelles sont les chances que vous lisiez cet article jusqu’à la fin ?

Compte tenu des nombreuses distractions que nous rencontrons aujourd’hui, elles ne sont pas élevées.

Si, comme moi, vous avez parfois du mal à rester concentrés dans cette époque d’innombrables sollicitations, accrochez-vous. Cet article a pour ambition de nous aider à reprendre le contrôle de notre attention, et ce, dès aujourd’hui.

À la fin de la lecture, vous aurez peut-être envie de dédier un peu moins de temps à Netflix ou à votre smartphone, et un peu plus à tout ce que vous avez toujours eu envie de faire, et qui vous rendrait heureux. 

 

Mami, regarde mon dessin !

Les nouvelles technologies sont partout. Comment nier à quel point elles nous facilitent la vie? Ma génération d’étudiants Erasmus s’aventurait dehors par tous temps pour appeler les parents depuis une cabine téléphonique. Comment pourrais-je ne pas apprécier le confort d’un appel vidéo depuis le canapé avec “la famiglia ? Sans compter le plaisir, pour les grands-parents, de voir grandir leurs adorables petites-filles, de discuter avec elles, et d’apprécier en temps réel le bruit et le bazar qu’elles sont capables de faire un dimanche matin ?

                     Dans notre famille, chacun a sa tablette !

Tous les membres de notre famille ont une tablette, y compris la petite de deux ans et demi. Chacun de nous aime sa tablette, et l’utilise différemment. Ça va sans dire, notre perception du temps passé devant l’écran n’est pas la même… ce qui fait que je me retrouve souvent à jouer le rôle du mauvais flic. Le contrôle parental est un travail difficile…, mais quelqu’un doit bien le faire, non ?

Bien que nous soyons parfois en désaccord sur la limite du temps d’écran, mon mari et moi partageons le même avis sur l’importance d’apprendre à maîtriser l’usage que nous faisons des nouvelles technologies. Parce que les interdire ne sera jamais une option.

C’est pourquoi, récemment, il m’a offert le livre qui a inspiré cet article. Pas encore disponible en version française, le titre original est “Stand out of our light – Freedom and resistance in the attention economy1. L’auteur, James Williams, est un ex “Google strategist” qui est passé de l’optimisation de campagnes AdWords pour les marques, à l’obtention d’un PhD à Oxford, avant de devenir un auteur spécialisé en éthique des nouvelles technologies. 

“Stand out of our light!” de James Williams

Le titre du livre est une référence historique à la conversation entre le philosophe grec Diogène et Alexandre le Grand. Intrigué par la réputation et la personnalité non conformiste de Diogène, Alexandre lui rend visite un jour, et propose “de lui accorder tout ce qu’il souhaite”. Mendiant exilé de sa patrie, Diogène aurait pu en profiter pour demander beaucoup de choses. Cependant, sa seule réaction vis-à-vis d’Alexandre qui se tenait au-dessus de lui et bloquait le soleil a été de crier : “Ôte-toi de mon soleil !” 

 

La technologie «ôte-t-elle notre soleil ?»

L’idée de Williams est que l’usage actuel que nous faisons des nouvelles technologies aurait plus de coûts que d’avantages. L’auteur fait valoir que l’“économie de l’attention” numérique “ôte notre soleil”, et menace notre capacité à nous concentrer et à prêter attention à tout ce qui est vraiment important pour nous. Dans l’économie de l’attention, les entreprises visent à attirer notre attention, la garder, et en tirer profit : c’est ce qu’on appelle la “persuasion intelligente”. Williams affirme que “les entreprises dépensent des milliards de dollars” pour nous encourager à :

  • faire des achats
  • soutenir une cause ou un candidat
  • rivaliser pour être appréciés sur les réseaux sociaux

 Il ajoute que nos outils technologiques dévorent notre attention, au lieu de servir nos intentions. Nous saisissons notre smartphone avec l’intention de passer un coup de fil, et nous finissons par passer trois quarts d’heure sur les réseaux sociaux. Il paraît que, en moyenne, nous vérifions nos smartphones environ 150 fois par jour !

L’objectif de Williams (et, en version plus humble, celui de cet article aussi), c’est de nous inviter à reprendre le contrôle de notre attention.

 

Qu’y perdons-nous ? 

À une époque comme la nôtre, où l’information est si abondante et accessible, l’attention est devenue une ressource précieuse et limitée. En jouant sur l’expression anglaise “pay attention”, Williams nous rappelle que, bien que cela nous paraisse gratuit, en réalité quand nous “prêtons attention”, nous payons “avec tout ce que nous aurions pu faire, mais que nous n’avons pas fait”. La contrepartie, donc, ce sont “les vies que nous aurions pu vivre”.

Que vous dit votre temps d’écran?

Vérifiez-vous le temps passé sur vos écrans ? De nos jours, tous les smartphones proposent une option pour le faire. Personnellement, j’étais consternée d’apprendre que je consacre en moyenne 2 heures par jour aux réseaux sociaux. Pour ma défense, une bonne moitié est liée à mon travail de rédactrice web. Ceci dit, ça correspond à un mois entier par an ! Est-ce que cela faisait-il partie de mes résolutions pour 2020 ? Absolument pas. Mes objectifs étaient plutôt lire davantage, faire du sport chaque semaine … et tout plein d’autres choses pour lesquelles j’estime ne pas avoir de temps.

Williams estime qu’“il y a un profond décalage entre les objectifs que nous avons pour nous-mêmes et ceux que les nouvelles technologies ont pour nous”. Il soutient que ce que nous souhaitons pour nous-mêmes est l’inverse de ce que les géants du web veulent faire figurer sur leurs tableaux de bord. Plus nous cliquons, nous engageons, faisons défiler et interagissons… mieux c’est pour elles. Mais quel est, pour nous, le coût de faire plaisir aux grands acteurs de l’économie de l’attention ?

 

L’attention fait partie de nos ressources les plus puissantes 

L’auteur affirme que le fait de prêter attention détermine trois aspects cruciaux de notre vie (et ici, encore une fois, j’ose une traduction) :

A.       ce que nous faisons (ce qu’il appelle “spotlight”, projecteur en français)

B.       qui nous sommes (notre “starlight”, ou lumière des étoiles)

C.   et surtout, nos connaissances et ce que nous voulons poursuivre (notre “daylight”, ou lumière du jour)

Si nous perdons le contrôle de notre attention, le risque est de perdre notre liberté.

A.     L’attention détermine ce que nous faisons 

Le “spotlight”, c’est notre capacité de concentration. Il s’agit du premier niveau d’attention perturbé par les nouvelles technologies. Pensons, par exemple, à toutes les notifications que nous recevons sur nos smartphones. L’auteur cite des recherches indiquant que cela peut nous prendre environ 23 minutes pour retrouver la concentration après chaque interruption. De plus, “l’exposition à des notifications répétées peut entraîner la distraction, même en l’absence de technologies”. Inutile, donc, de désactiver les notifications : même si on verrouille nos smartphones dans un coffre-fort et qu’on avale la clé, nous risquons de perdre notre concentration.

    Si nous perdons le contrôle de notre attention, le risque est de perdre notre liberté.

    B.     L’attention détermine qui nous sommes 

    Notre “starlight” représente qui nous sommes. Nous le savons : les opinions des autres ont toujours contribué à forger notre identité. Le problème c’est qu’aujourd’hui, la technologie et les médias sociaux ont déformé le miroir. Obscurcir notre deuxième niveau d’attention influence la façon de déterminer nos valeurs. Nous rentrons en compétition pour attirer le regard des autres sur les réseaux sociaux, et on finit par nous retrouver à passer “de plus en plus de temps à essayer de trouver des choses intelligentes à dire”. Sans compter notre obsession pour le nombre de personnes qui ont aimé/partagé/réagi à nos publications.

    Parfois on se croirait vraiment dans un des épisodes angoissants de Black Mirror, comme celui dans lequel les protagonistes sont exclus des emplois réputés et des logements de prestige si leurs interactions sociales obtiennent de mauvaises notes.

    En tant que parent, j’ai été choquée d’apprendre qu’aujourd’hui “la principale valeur présente dans les émissions de télévision pour enfants est la célébrité”, à la place de sentiments comme l’humanité ou la générosité. Si vous êtes curieux de lire davantage d’exemples flippants sur les conséquences de l’explosion  du narcissisme et la poursuite de la célébrité, vous en trouverez dans les pages 59 et 60 du livre de Williams.

    C.     L’attention détermine ce que nous savons, ce que nous voulons, les valeurs que nous poursuivons 

    Notre troisième niveau d’attention est le plus profond. Il détermine les objectifs que nous nous fixons, et les moyens de les atteindre. Lorsque notre “daylight” est compromise, les conséquences peuvent être inquiétantes/alarmantes. 

    Comment la technologie obscurcit-elle notre lumière du jour?

    • Cela cause une “diminution de l’intelligence ou d’autres capacités cognitives”. Une étude commandée par Hewlett-Packard a révélé que les interruptions dues aux courriers électroniques et aux appels téléphoniques provoquent une baisse moyenne de 10 points des scores de QI chez les employés. Cela représente “deux fois plus que ceux qui fument de la marijuana”.
    • Nous avons de plus en plus de mal à faire le vide dans notre tête, et à profiter du calme. Nos cerveaux occupés perdent l’habitude d’expérimenter ce que Williams appelle “periodic non-thought” (absence périodique de la pensée), c’est-à-dire les moments où on débranche, et où on ne force pas la pensée. Ce manque de réflexion est particulièrement nocif pour le développement cognitif des enfants. Je suis peut-être sadique, mais, à chaque fois que ma fille dit “Maman, je m’ennuie”, je réponds simplement “Super, continue !”
    • Cela nous rend plus colériques et susceptibles de donner des jugements précipités, sans disposer d’informations correctes ou complètes. Sur les réseaux sociaux, tout peut devenir viral en quelques minutes, en particulier ce qui est réputé comme négatif et inadmissible. Plus nous nous sentons “en colère et dégoûtés”, plus nous nous autorisons à exprimer ces sentiments sur les réseaux sociaux. L’indignation est un sentiment qui se partage très facilement en ligne : c’est ce que Williams appelle la “prolifération de l’outrage moral2. La disproportion de ces réactions peut avoir des conséquences néfastes sur la vie des autres. Sans compter que ça finit pour détourner même les intentions des mouvements nés dans le but d’avoir un impact positif sur nos vies3.

    Ce que nous faisons est-il suffisant ?

    Le livre de Williams n’est pas une critique de la technologie. C’est plutôt une approche constructive, et un appel à l’action. L’auteur propose de nombreuses suggestions pour bâtir une relation plus saine avec les nouvelles technologies.

    Le message que je retiens de cette lecture, c’est qu’il serait judicieux d’agir dès maintenant, au lieu de nous plaindre de la situation, et de ne rien faire sous prétexte qu’il serait trop tard pour agir. 

    Avant de lire le livre, j’étais persuadée de faire déjà assez… alors qu’il est possible d’aller beaucoup plus loin !

    Bien sûr, nous pouvons :

    • Désactiver les notifications, supprimer les applications de nos smartphones, installer un bloqueur de publicités, passer l’écran de nos smartphones en noir et blanc pour faciliter la concentration, faire un “digital detox” tant à la mode ;
    • Mettre toute la charge sur l’éducation, et croire que le simple fait de connaître les causes et les conséquences des distractions suffira à reprendre le contrôle de notre attention ; 
    • Espérer que les acteurs du digital pensent d’eux-mêmes à faire des efforts pour s’autoréguler, et faire en sorte que leurs objectifs soient “alignés avec le bien-être humain”, comme dit Williams. 

    Devenir proactifs

    Et si on faisait valoir notre besoin de nous réapproprier notre attention ? Nous pourrions instaurer un dialogue avec les entreprises, pour qu’ils prennent en compte ce que le philosophe britannique du 19e siècle John Stuart Mills appelait notre “appétit presque infini pour la distraction”. 

    Nombreuses sont les interventions que nous pourrions porter à l’attention (ah ah !) des entreprises du digital, ainsi que des designers et des marketeurs. Voici juste quelques exemples cités dans le livre 4.

    1.     Les utilisateurs sont avant tout des êtres humains. Toute personne travaillant dans le domaine des nouvelles technologies devrait cesser de les considérer juste comme des données. Nous sommes bien plus que des “cibles”, des “leads” ou des “conversions”. C’est provocateur, certes, mais pourquoi ne pas rêver d’avoir des bloqueurs de publicités installés par défaut, et choisir de ne les désactiver que si vraiment nous souhaitons recevoir des pubs? Pourquoi ne ferions-nous pas du lobby pour que le design soit plus éthique et transparent? Impliquer l’utilisateur dans le design permettrait de prendre en compte ses vrais intérêts, et de ne plus “profiter de ses faiblesses” face aux distractions, suggère Williams.

    2.      “Mesurer ce qui a de la valeur [pour l’utilisateur], au lieu d’attribuer de la valeur à ce que nous mesurons”. Comment ? 

    • en s’efforçant de comprendre les vraies intentions des utilisateurs, afin de leur donner ce qu’ils cherchent vraiment ;
    • en prenant en compte le fait que certains utilisateurs peuvent être plus vulnérables que d’autres ;
    • et pourquoi pas… facturer les entreprises qui dépassent un certain niveau de “pollution” de l’attention 😉

    Pour plus de suggestions sur les actions à entreprendre, je vous encourage à lire le dernier chapitre du livre. 

    Conclusion

    Les systèmes de “persuasion intelligente” mis en oeuvre par les géants du web sont en train de dévorer notre attention, et représentent un obstacle pour accomplir ce qui est vraiment important pour nous. 

    Concrètement, est-il vraiment possible de reprendre le contrôle de notre attention ?  Comment pouvons-nous faire la différence ? Je n’ai pas toutes les réponses, et Williams non plus, mais nous semblons être d’accord que cela vaut la peine d’essayer. Les résultats ne seront pas immédiats, mais je suis convaincue qu’ils pourront avoir un impact décisif à long terme.

    En tant que rédactrice web spécialisée dans le digital, écrire sur des sujets concernant le marketing digital c’est mon métier : j’adore les nouvelles technologies et leurs mille façons de nous simplifier la vie. Cela dit, lire le livre de James Williams a eu un impact profond sur mon approche personnelle et professionnelle des nouvelles technologies, et c’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de vous en parler.

    Vous souhaitez en savoir plus? Voici 3 choses que vous pouvez faire dès maintenant :

    1) Si ce n’est pas encore fait, lire quels sont les principaux regrets des gens en fin de vie, en anglais dans cet article proposé par Williams, voire même en français dans ce livre aussi poétique que émouvant. Spoiler alert : passer plus de temps sur Facebook n’est pas sur la liste !

    2) Lire le livre “Stand out of our light” (disponible même en libre accès, mais traduit uniquement en italien pour l’instant) et/ou regarder le TEDx de l’auteur (sous-titres en français disponibles) ;

    3) Visiter le site de l’organisation à but non lucratif co-fondée par l’auteur. C’est une mine d’informations et de ressources pour les particuliers, les entreprises et les écoles (le tout, uniquement en anglais).

    Et surtout, si vous trouvez que le sujet mérite de l’attention, n’hésitez pas à en parler autour de vous !

    Une lecture de 10 minutes qui pourrait vous épargner des heures de distraction sur les réseaux sociaux.

    Quelles sont les chances que vous lisiez cet article jusqu’à la fin ?

    Compte tenu des nombreuses distractions que nous rencontrons aujourd’hui, elles ne sont pas élevées.

    Si, comme moi, vous avez parfois du mal à rester concentrés dans cette époque d’innombrables sollicitations, accrochez-vous. Cet article a pour ambition de nous aider à reprendre le contrôle de notre attention, et ce, dès aujourd’hui.

    À la fin de la lecture, vous aurez peut-être envie de dédier un peu moins de temps à Netflix ou à votre smartphone, et un peu plus à tout ce que vous avez toujours eu envie de faire, et qui vous rendrait heureux. 

     

    Mami, regarde mon dessin !

    Les nouvelles technologies sont partout. Comment nier à quel point elles nous facilitent la vie? Ma génération d’étudiants Erasmus s’aventurait dehors par tous temps pour appeler les parents depuis une cabine téléphonique. Comment pourrais-je ne pas apprécier le confort d’un appel vidéo depuis le canapé avec “la famiglia ? Sans compter le plaisir, pour les grands-parents, de voir grandir leurs adorables petites-filles, de discuter avec elles, et d’apprécier en temps réel le bruit et le bazar qu’elles sont capables de faire un dimanche matin ?

                         Dans notre famille, chacun a sa tablette !

    Tous les membres de notre famille ont une tablette, y compris la petite de deux ans et demi. Chacun de nous aime sa tablette, et l’utilise différemment. Ça va sans dire, notre perception du temps passé devant l’écran n’est pas la même… ce qui fait que je me retrouve souvent à jouer le rôle du mauvais flic. Le contrôle parental est un travail difficile…, mais quelqu’un doit bien le faire, non ?

    Bien que nous soyons parfois en désaccord sur la limite du temps d’écran, mon mari et moi partageons le même avis sur l’importance d’apprendre à maîtriser l’usage que nous faisons des nouvelles technologies. Parce que les interdire ne sera jamais une option.

    C’est pourquoi, récemment, il m’a offert le livre qui a inspiré cet article. Pas encore disponible en version française, le titre original est “Stand out of our light – Freedom and resistance in the attention economy. Je tente une traduction, les professionnels du métier sont priés d’excuser mon audace : “Ôtez-vous du soleil – Liberté et résistance dans l’économie de l’attention”. L’auteur, James Williams, est un ex “Google strategist” qui est passé de l’optimisation de campagnes AdWords pour les marques, à l’obtention d’un PhD à Oxford, avant de devenir un auteur spécialisé en éthique des nouvelles technologies. 

    “Stand out of our light!” de James Williams

    Le titre du livre est une référence historique à la conversation entre le philosophe grec Diogène et Alexandre le Grand. Intrigué par la réputation et la personnalité non conformiste de Diogène, Alexandre lui rend visite un jour, et propose “de lui accorder tout ce qu’il souhaite”. Mendiant exilé de sa patrie, Diogène aurait pu en profiter pour demander beaucoup de choses. Cependant, sa seule réaction vis-à-vis d’Alexandre qui se tenait au-dessus de lui et bloquait le soleil a été de crier : “Ôte-toi de mon soleil !” 

     

    La technologie «ôte-t-elle notre soleil ?»

    L’idée de Williams est que l’usage actuel que nous faisons des nouvelles technologies aurait plus de coûts que d’avantages. L’auteur fait valoir que l’“économie de l’attention” numérique “ôte notre soleil”, et menace notre capacité à nous concentrer et à prêter attention à tout ce qui est vraiment important pour nous. Dans l’économie de l’attention, les entreprises visent à attirer notre attention, la garder, et en tirer profit : c’est ce qu’on appelle la “persuasion intelligente”. Williams affirme que “les entreprises dépensent des milliards de dollars” pour nous encourager à :

    • faire des achats
    • soutenir une cause ou un candidat
    • rivaliser pour être appréciés sur les réseaux sociaux

    Il ajoute que nos outils technologiques dévorent notre attention, au lieu de servir nos intentions. Nous saisissons notre smartphone avec l’intention de passer un coup de fil, et nous finissons par passer trois quarts d’heure sur les réseaux sociaux. Il paraît que, en moyenne, nous vérifions nos smartphones environ 150 fois par jour !

    L’objectif de Williams (et, en version plus humble, celui de cet article aussi), c’est de nous inviter à reprendre le contrôle de notre attention.

     

    Qu’y perdons-nous ? 

    À une époque comme la nôtre, où l’information est si abondante et accessible, l’attention est devenue une ressource précieuse et limitée. En jouant sur l’expression anglaise “pay attention”, Williams nous rappelle que, bien que cela nous paraisse gratuit, en réalité quand nous “prêtons attention”, nous payons “avec tout ce que nous aurions pu faire, mais que nous n’avons pas fait”. La contrepartie, donc, ce sont “les vies que nous aurions pu vivre”.

    Que vous dit votre temps d’écran?

    Vérifiez-vous le temps passé sur vos écrans ? De nos jours, tous les smartphones proposent une option pour le faire. Personnellement, j’étais consternée d’apprendre que je consacre en moyenne 2 heures par jour aux réseaux sociaux. Pour ma défense, une bonne moitié est liée à mon travail de rédactrice web. Ceci dit, ça correspond à un mois entier par an ! Est-ce que cela faisait-il partie de mes résolutions pour 2020 ? Absolument pas. Mes objectifs étaient plutôt lire davantage, faire du sport chaque semaine … et tout plein d’autres choses pour lesquelles j’estime ne pas avoir de temps.

    Williams estime qu’“il y a un profond décalage entre les objectifs que nous avons pour nous-mêmes et ceux que les nouvelles technologies ont pour nous”. Il soutient que ce que nous souhaitons pour nous-mêmes est l’inverse de ce que les géants du web veulent faire figurer sur leurs tableaux de bord. Plus nous cliquons, nous engageons, faisons défiler et interagissons… mieux c’est pour elles. Mais quel est, pour nous, le coût de faire plaisir aux grands acteurs de l’économie de l’attention ?

     

    L’attention fait partie de nos ressources les plus puissantes 

    L’auteur affirme que le fait de prêter attention détermine trois aspects cruciaux de notre vie (et ici, encore une fois, j’ose une traduction) :

    A.       ce que nous faisons (ce qu’il appelle “spotlight”, projecteur en français)

    B.       qui nous sommes (notre “starlight”, ou lumière des étoiles)

    C.   et surtout, nos connaissances et ce que nous voulons poursuivre (notre “daylight”, ou lumière du jour)

    Si nous perdons le contrôle de notre attention, le risque est de perdre notre liberté.

    A.     L’attention détermine ce que nous faisons 

    Le “spotlight”, c’est notre capacité de concentration. Il s’agit du premier niveau d’attention perturbé par les nouvelles technologies. Pensons, par exemple, à toutes les notifications que nous recevons sur nos smartphones. L’auteur cite des recherches indiquant que cela peut nous prendre environ 23 minutes pour retrouver la concentration après chaque interruption. De plus, “l’exposition à des notifications répétées peut entraîner la distraction, même en l’absence de technologies”. Inutile, donc, de désactiver les notifications : même si on verrouille nos smartphones dans un coffre-fort et qu’on avale la clé, nous risquons de perdre notre concentration.

    Si nous perdons le contrôle de notre attention, le risque est de perdre notre liberté.

     

    B.     L’attention détermine qui nous sommes 

    Notre “starlight” représente qui nous sommes. Nous le savons : les opinions des autres ont toujours contribué à forger notre identité. Le problème c’est qu’aujourd’hui, la technologie et les médias sociaux ont déformé le miroir. Obscurcir notre deuxième niveau d’attention influence la façon de déterminer nos valeurs. Nous rentrons en compétition pour attirer le regard des autres sur les réseaux sociaux, et on finit par nous retrouver à passer “de plus en plus de temps à essayer de trouver des choses intelligentes à dire”. Sans compter notre obsession pour le nombre de personnes qui ont aimé/partagé/réagi à nos publications.

    Parfois on se croirait vraiment dans un des épisodes angoissants de Black Mirror, comme celui dans lequel les protagonistes sont exclus des emplois réputés et des logements de prestige si leurs interactions sociales obtiennent de mauvaises notes.

    En tant que parent, j’ai été choquée d’apprendre qu’aujourd’hui “la principale valeur présente dans les émissions de télévision pour enfants est la célébrité”, à la place de sentiments comme l’humanité ou la générosité. Si vous êtes curieux de lire davantage d’exemples flippants sur les conséquences de l’explosion  du narcissisme et la poursuite de la célébrité, vous en trouverez dans les pages 59 et 60 du livre de Williams.

    C.     L’attention détermine ce que nous savons, ce que nous voulons, les valeurs que nous poursuivons 

    Notre troisième niveau d’attention est le plus profond. Il détermine les objectifs que nous nous fixons, et les moyens de les atteindre. Lorsque notre “daylight” est compromise, les conséquences peuvent être inquiétantes/alarmantes. 

    Comment la technologie obscurcit-elle notre lumière du jour?

    • Cela cause une “diminution de l’intelligence ou d’autres capacités cognitives”. Une étude commandée par Hewlett-Packard a révélé que les interruptions dues aux courriers électroniques et aux appels téléphoniques provoquent une baisse moyenne de 10 points des scores de QI chez les employés. Cela représente “deux fois plus que ceux qui fument de la marijuana”.
    • Nous avons de plus en plus de mal à faire le vide dans notre tête, et à profiter du calme. Nos cerveaux occupés perdent l’habitude d’expérimenter ce que Williams appelle “periodic non-thought” (absence périodique de la pensée), c’est-à-dire les moments où on débranche, et où on ne force pas la pensée. Ce manque de réflexion est particulièrement nocif pour le développement cognitif des enfants. Je suis peut-être sadique, mais, à chaque fois que ma fille dit “Maman, je m’ennuie”, je réponds simplement “Super, continue !”
    • Cela nous rend plus colériques et susceptibles de donner des jugements précipités, sans disposer d’informations correctes ou complètes. Sur les réseaux sociaux, tout peut devenir viral en quelques minutes, en particulier ce qui est réputé comme négatif et inadmissible. Plus nous nous sentons “en colère et dégoûtés”, plus nous nous autorisons à exprimer ces sentiments sur les réseaux sociaux. L’indignation est un sentiment qui se partage très facilement en ligne : c’est ce que Williams appelle la “prolifération de l’outrage moral”, en citant l’exemple de la vague de réactions suite à l’abattage du lion Cecil : https://cutt.ly/YrLp5d3.                                          La disproportion de ces réactions peut avoir des conséquences néfastes sur la vie des autres. Sans compter que ça finit pour détourner même les intentions des mouvements nés dans le but d’avoir un impact positif sur nos vies. L’actualité nous offre plein d’exemples, je pense notamment aux critiques faites à Greta Thunberg dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique : https://cutt.ly/LrLsy83.

    Ce que nous faisons est-il suffisant ?

    Le livre de Williams n’est pas une critique de la technologie. C’est plutôt une approche constructive, et un appel à l’action. L’auteur propose de nombreuses suggestions pour bâtir une relation plus saine avec les nouvelles technologies.

    Le message que je retiens de cette lecture, c’est qu’il serait judicieux d’agir dès maintenant, au lieu de nous plaindre de la situation, et de ne rien faire sous prétexte qu’il serait trop tard pour agir. 

    Avant de lire le livre, j’étais persuadée de faire déjà assez… alors qu’il est possible d’aller beaucoup plus loin !

    Bien sûr, nous pouvons :

    • Désactiver les notifications, supprimer les applications de nos smartphones, installer un bloqueur de publicités, passer l’écran de nos smartphones en noir et blanc pour faciliter la concentration, faire un “digital detox” tant à la mode ;
    • Mettre toute la charge sur l’éducation, et croire que le simple fait de connaître les causes et les conséquences des distractions suffira à reprendre le contrôle de notre attention ; 
    • Espérer que les acteurs du digital pensent d’eux-mêmes à faire des efforts pour s’autoréguler, et faire en sorte que leurs objectifs soient “alignés avec le bien-être humain”, comme dit Williams. 

    Devenir proactifs

    Et si on faisait valoir notre besoin de nous réapproprier notre attention ? Nous pourrions instaurer un dialogue avec les entreprises, pour qu’ils prennent en compte ce que le philosophe britannique du 19e siècle John Stuart Mills appelait notre “appétit presque infini pour la distraction”. 

    Nombreuses sont les interventions que nous pourrions porter à l’attention (ah ah !) des entreprises du digital, ainsi que des designers et des marketeurs. Voici juste quelques exemples cités dans le livre.

    1.     Les utilisateurs sont avant tout des êtres humains. Toute personne travaillant dans le domaine des nouvelles technologies devrait cesser de les considérer juste comme des données. Nous sommes bien plus que des “cibles”, des “leads” ou des “conversions”. C’est provocateur, certes, mais pourquoi ne pas rêver d’avoir des bloqueurs de publicités installés par défaut, et choisir de ne les désactiver que si vraiment nous souhaitons recevoir des pubs? Pourquoi ne ferions-nous pas du lobby pour que le design soit plus éthique et transparent? Impliquer l’utilisateur dans le design permettrait de prendre en compte ses vrais intérêts, et de ne plus “profiter de ses faiblesses” face aux distractions, suggère Williams.

     

    2.      “Mesurer ce qui a de la valeur [pour l’utilisateur], au lieu d’attribuer de la valeur à ce que nous mesurons”. Comment ?

    • en s’efforçant de comprendre les vraies intentions des utilisateurs, afin de leur donner ce qu’ils cherchent vraiment ;
    • en prenant en compte le fait que certains utilisateurs peuvent être plus vulnérables que d’autres ;
    • et pourquoi pas… facturer les entreprises qui dépassent un certain niveau de “pollution” de l’attention 😉

    Pour plus de suggestions sur les actions à entreprendre, je vous encourage à lire le dernier chapitre du livre.

     

    Conclusion

    Les systèmes de “persuasion intelligente” mis en oeuvre par les géants du web sont en train de dévorer notre attention, et représentent un obstacle pour accomplir ce qui est vraiment important pour nous. 

    Concrètement, est-il vraiment possible de reprendre le contrôle de notre attention ?  Comment pouvons-nous faire la différence ? Je n’ai pas toutes les réponses, et Williams non plus, mais nous semblons être d’accord que cela vaut la peine d’essayer. Les résultats ne seront pas immédiats, mais je suis convaincue qu’ils pourront avoir un impact décisif à long terme.

    En tant que rédactrice web spécialisée dans le digital, écrire sur des sujets concernant le marketing digital c’est mon métier : j’adore les nouvelles technologies et leurs mille façons de nous simplifier la vie. Cela dit, lire le livre de James Williams a eu un impact profond sur mon approche personnelle et professionnelle des nouvelles technologies, et c’est la raison pour laquelle j’ai eu envie de vous en parler.

    Vous souhaitez en savoir plus? Voici 3 choses que vous pouvez faire dès maintenant :

    1) Si ce n’est pas encore fait, lire quels sont les principaux regrets des gens en fin de vie, en anglais dans cet article proposé par Williams, voire même en français dans ce livre aussi poétique que émouvant. Spoiler alert : passer plus de temps sur Facebook n’est pas sur la liste !

    2) Lire le livre “Stand out of our light” (disponible même en libre accès, mais traduit uniquement en italien pour l’instant) et/ou regarder le TEDx de l’auteur (sous-titres en français disponibles) ;

    3) Visiter le site de l’organisation à but non lucratif co-fondée par l’auteur. C’est une mine d’informations et de ressources pour les particuliers, les entreprises et les écoles (le tout, uniquement en anglais).

    Et surtout, si vous trouvez que le sujet mérite de l’attention, n’hésitez pas à en parler autour de vous !

    1. Je tente une traduction, les professionnels du métier sont priés d’excuser mon audace : “Ôtez-vous du soleil – Liberté et résistance dans l’économie de l’attention”
    2. Williams cite l’exemple de la vague de réactions suite à l’abattage du lion Cecil : https://cutt.ly/YrLp5d3

    3. L’actualité nous offre plein d’exemples, je pense notamment aux critiques faites à Greta Thunberg dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique : https://cutt.ly/LrLsy83
    4. Juste une petit message pour les lecteurs qui sont arrivés à la fin de l’article : j’apprécie votre attention, et je vous en suis vraiment reconnaissante. Vous y êtes presque, plus que quelques lignes !